PATRICK JOQUEL Sur ce site, mon agenda des manifestations, des animations ainsi que les dernières publications.

Au fil du Monde

Au fil du Monde
Patrick Joquel
www.patrick-joquel.com
*
avec un cœur artificiel
l’homme deviendra-t-il plus humain
?
plutôt que de se machetter sous les couvertures religieuses, tribales ou autres, l’humanité découvrira-t-elle tendresse et respect
?
sans étiquette hors de tout tiroir, dans la liberté des plaisirs et le plaisir des libertés
?
avec un cœur artificiel
les douaniers lèveront-ils les barrières
?
le mot étranger disparaîtra-t-il du dictionnaire
?
Avec un cœur artificiel
?

*
De part et d’autre de la chaîne frontalière
la neige fond
le randonneur découvre alors
égarés parmi les rochers
des corps sans vie
des vies sans nom
des noms perdus
sous le générique migrant
vivants ils fuyaient persécution
guerre ou pauvreté

Nota Bene
on peut choisir son migrant
un refoulé du droit d’asile
ou bien
un condamné en justice pour corruption
fraude fiscale ou abus de pouvoir
accueil pour l’un en procédure VIP cinq étoiles
ou pour l’autre procédure cellule partagée
**

*
brain storming politique
combien de voix vaut un migrant accueilli et respecté
?
combien de voix pèse un migrant dans un camp de rétention transitoire
?
combien de voix donne un migrant interdit de débarquement
?
combien de voix offre un migrant refoulé
?
combien de voix apporte un migrant reconduit
?
combien de voix emporte un migrant noyé
?
combien de voix pour un migrant aphone
?
combien de voix sonnantes et trébuchantes pour un migrant Golden Pass
?
quelle est la valeur boursière d’une vie humaine
?
gérer aussi les paramètres secondaires
sexe
âge
compétences
conditions météorologiques du jour
compte en banque et domiciliation bancaire

suivre au jour le jour les conseils du responsable com pour habiter quotidiennement les Unes de tous les médias
ceux du gestionnaire de l’image publique pour évoquer de temps en temps les droits fondamentaux de l’Humain (insister sur la majuscule bien sûr)
de temps en temps
seulement
publié fanzine nos voix comptent encore juin 24

*
Marseille, Cours Julien
l’escalier musical et coloré descend vers la rue d’Aubagne
la rue d’Aubagne avec ses vivants et ses morts
je ne sais pas s’il existe une ou plusieurs façons intelligentes de mourir mais la mort rue d’Aubagne est particulièrement stupide et honteuse
comment peut-on
?
antienne récurrente et lancinante en ce début de millénaire
mourir en Méditerranée
dans la Manche
en mer Égée
mourir sans soin
mourir de faim
mourir sous les coups de poings
ou encore autrement et encore ailleurs
où en étais-je
?
ah oui l’escalier musical
et je voulais ajouter les étourneaux sur les deux pins du cours Julien
tintamarre
envols groupés
partition légère
aérienne
au delà de l’escalier soleil couchant
Marseille, Cours Julien
devant la fontaine les gens
instants de corps en marche
inconnus
individus inconnus
avec ou sans papiers
?
que porte-t-il sous la casquette
?
que porte-t-elle sous les cheveux
?
quels rêves et toutes ces sortes de choses
?
vies multiples

*
Entraînement intensif
en parallèle à la frontière une ligne imaginaire à 300 mètres donne l’autorisation de tirer sur tout ce qui vient
certains ont les mains vides
d’autres jouent avec un cerf-volant armé

on ne tire que sous les genoux
affirme un responsable
notre but n’est pas de tuer
mais d’empêcher toute invasion
Entraînement intensif
sous le genou à balles réelles
fabrication d’handicapés en série
et moi
lecteur de ce Monde
je fais quoi de tout ça
?
un poème
?

*
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
tu n’as plus d’identité
tu n’as pas de vrai logement
pas de vrai travail
tu te débrouilles
plus ou moins légalement
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
ceux qui t’en parlaient
tu ne les croyais pas
tu es parti et tu as marché
roulé navigué marché roulé
tu es devenu croix pour cases statistiques
tu es recherché comme un western Wanted
dans un village de toiles colorées en bordure du périphérique tu squattes une demie-tente
aucun MSF
no UN ( United Nations)
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
quémander un travail au black pour une poignée d’euros face à des employeurs plus ou moins scrupuleux
quémander une autorisation de vie face à des guichets plus ou moins sourds et muets
quémander un regard
un quignon
partager les misères
le feu
le silence
et parfois la musique du pays
ton pays où tu étais promis à une mort certaine et à plus ou moins brève échéance
ici tu es devenu un fantôme
seule ton ombre te rattache encore aux vivants
pour combien de temps
?
combien de temps pour résister à cet émiettement
?
combien de temps avant de t’habiller à nouveau de dignité
?
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
tu rêvais d’un horizon libre et tu as été enfermé
torturé
racketté
traité en esclave
corps à pognon d’abondance
alors
quand tu as réussi à leur échapper
traverser la mer paraissait un jeu d’enfant
fortune de mer
sauvetage extrême
errance à bord du bateau sauveur
aucun port d’accueil
négation du droit maritime
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
tout un continent verrouillé à double tour
tout un continent barbelé
tout un continent branché sous haute tension politique
tout un continent te regarde par le judas des informations continues
te regarde sans te voir
tout un continent en crise d’allergie fraternelle

vivre en demie-tente
en plein hiver
peu importe le lieu
le froid est le froid
le gel le gel
le vent le vent
la pluie la neige le froid

bonne année bonne santé
la santé surtout

*
les arrivées massives de cadavres c’est un vrai problème en saison touristique 
les baigneurs
les plaisanciers
les croisiéristes
les porte-containers
les pétroliers
les pêcheurs
les canots de candidats migratoires
les fortunes de mer
les vagues écument les noyés jusqu’aux plages où fleurissent les parasols et les tentes
les arrivées massives de cadavres c’est un vrai problème en saison touristique 
on ne dit rien de ces vies noyées
de ces vies coulées
de ces corps sans traçabilité
de ces corps réduits à un numéro code-barre

on ne dit rien ou si peu
des vendeurs de tickets sans retour
des passeurs
des trafiquants

on préfère écouter les voix de ceux qui veulent interdire le secours en mer
de ceux qui souhaitent interdire le débarquement des naufragés
en bloquant les navires ONG de secours à quai
pas de bateau
pas de sauvetage
pas de sauvetage
pas de migrants
pas de migrants
non que des noyés
que du silence
le grand et total silence des profondeurs
profondeurs marines
aussi longtemps que la mer garde les corps
total et grand silence
cependant
les arrivées massives de cadavres c’est un vrai problème en saison touristique 

*
hors saison
en mer
une embarcation vide a été retrouvée

deux corps sur une plage aussi
et les autres
les autres
les autres
?
litanie sans fin des absents
comme les vagues
comme les marées

5/6cm en bas de page France avec en titre IMMIGRATION et en sous-titre en gras deux corps de migrants retrouvés sur une plage
deux Irakiens
deux jeunes hommes
17 et 22 ans dit la nécro
ces deux jeunes hommes ne sont plus que deux corps déposés par la marée sur une plage de la Manche et 5/6 cm en bas de page du Monde

*
hôpital des douleurs et des cris
instructions médicales au feutre indélébile à même la peau
sentiment d’impuissance et de trahison
haine en fabrication ordinaire
tant de brûlures
de corps cassés
de pourquoi à hurler
hôpital du désespoir des douleurs et des cris
tous nos lits sont occupés
revenez plus tard

sur les écrans des réseaux sociaux
la nuit
lueurs armées
sinistres
incandescence des cigarettes de guet
images de panique
images d’exécutions sommaires
pick-up surchargés d’enfants et de femmes
camps en formation
toiles au vent
toujours la même histoire
une réserve inépuisable d’acteurs innocents
fabrication de la haine ordinaire
histoires de coups politiques
histoires de comptes en banque internationaux
sur le dos des civils
histoires à ne plus dormir ni debout ni couché
histoires à mourir
fabrication ordinaire de la haine ordinaire

*
des murs
ils veulent tous construire des murs
à croire qu’ils ont des intérêts financiers dans la brique hérissée de tessons et le grillage barbelée ou la clôture hermétique
cocher la bonne case et plusieurs choix possibles
où est la case question humaine
?
rien à cocher
just a passing shot
retour à l’envoyeur
chacun chez soi

bien en sécurité à l’intérieur
aucune fenêtre à la forteresse et pas de porte
juste un écran géant pour suivre l’actualité extérieure aux murs en grignotant des cacahuètes
forfait all inclusive
of course

*
la frontière
tu veux la passer
à pieds
à la nage
en stop
caché dans un camion
en train
dans le train
sur le toit du TER entre Vintimille et Menton
au risque de mourir électrocuté
deux mondes
celui de ceux qui sont dans le train
et celui qui est sur le toit
cadavré

*
Tu as attendu dans la zone tampon
entre deux frontières
attendu un tampon
attendu sans eau
sans nourriture
et encore attendu battu dépouillé détéléphoné
mis hors-réseau hors-circuit
plus aucun contact
no man’s land

tu deviens
monnaie d’échange entre les pays
tu n’existes nulle part en tant qu’humain
juste étiqueté code-barré cocher la bonne case
sdf
terroriste potentiel
violeur potentiel
esclave en soldes
parasite
objet pour chantage politique ou exploitations économiques diverses
candidat au retour
selon les jours et les lieux
ton prénom et ton nom tu les répètes le soir
comme une caresse avant de t’endormir
*
pourquoi partir
?
pourquoi quitter sa maison sa famille ses amis
?
pas par gaieté de cœur
non
pas par envie
non
juste échapper à un impossible avenir
à la guerre au néant
aux négations de la liberté
en route certains meurent
les survivants sont traités comme du bétail
les passeurs nous volent notre argent et nos téléphones
ils nous abandonnent en chemin livrés à nous mêmes
promis à des reconduites à la frontières
condamnés au néant sans aucun papier
sans destin
oubliés de tous et même de dieu
seuls les forces de l’ordre nous reconnaissent
mais nous refoulent

*
les vagues comptent les corps
les goélands comptent leurs yeux
les poissons mordent leurs chairs
les algues comptent leurs poussières
les vagues
les corps
des humains
de tous âges
de tous genres (c’est comme ça qu’on dit maintenant, si j’ai bien compris)
des sans-papiers
des sans rien dans leur pays d’origine
des plus rien dans un no future
la mer
les vagues comptent les corps d’humains qui ne comptent plus
erreur
un décompte existe
un tableau statistique
une colonne perte
une autre intitulée profits divers pour exploiteurs de pauvreté

* Falmares
Tu te crois en intégration positive
loyer payé
travail études en alternance
rôle social attesté
tu imagines un avenir devant toi et tu reçois un courrier préfectoral t’avisant d’un délai de trente jours pour un retour au pays avant d’y être reconduit de force

à nouveau tout s’effrite en toi
tout
les souvenirs du départ
ceux du voyage
avec les solidarités
mais aussi avec les profiteurs de toutes couleurs et de tout genre
la traversée
l’immensité de la mer
des peurs

l’Italie
le mouvement vers la France dont tu parles la langue
dont tu rêves depuis que ta vie au pays s’est effritée
la France qui te donne asile
scolarité
amitiés
jusqu’à ce courrier préfectoral

l’amitié justement te prend par le bras
t’accompagne pour les six mois à venir
six mois de gagnés
six mois de sursis
six mois à traverser
comme un désert
comme une mer
comme un passeport pour l’espoir de vivre ici
en homme libre et en poète
*
ton désir d’une vie se heurte aujourd’hui à de frais barbelés déroulés au Nord de l’Europe
les barbelés aussi explorent de nouvelles frontières
un jour au sud un autre à l’Est et maintenant au Nord
jeu géographique et mouvant pour des kilomètres de voyage

tu patauges sur le sol d’une forêt d’automne humide et froide sans rien d’autre que ton sac et ton téléphone à la batterie déchargée
tu es devenu une arme de chair et d’âme
l’arme d’une guerre politique
d’une guerre économique
des gens au chaud dans leurs bureaux jouent ta vie à la roulette … ou aux cartes
cynisme à vomir

instrumentalisation de la misère humaines
on les invite moyennant finance à venir ici
on sont appelés passeurs au service de bien repus dans leurs fauteuils
puis on leur montre le chemin de la frontière avec le voisin
puis face aux barbelés on leur propose des sécateurs
et on les pousse en avant

le regard suit les colonnes de l’article et voit ces hommes
ces femmes
ces enfants ou bien ces adolescents
la boue leur colle au corps
le froid accompagne leur faim nue
leurs doigts gercés
leurs visages hirsutes de nuits blanches
de nuits givrées
leurs poumons angoissés

en langage officiel on dit
ouvrez les guillemets
outil d’attaque hybride
fermez les guillemets
chair à canon à eau
bétail propulsé comme arme de pénétration déstabilisante
pions d’un jeu d’échecs dont les enjeux leur échappent
on les pousse en avant
en face on les repousse en arrière
on de cet autre côté de la frontière ce sont les soldats d’en face
vous suivez
?
canon à eau et grenades à gaz lacrymogène et de l’autre côté on les repousse en avant
façon tennis sur terre battue
humains battus
humiliés
rêves smatchés
poches trouées
larmes percées
corps lacérés
jeu set et match